PORTRAIT Mohamed El Kaghat : le fou du théâtre A l’heure où la scène artistique mondiale célèbre sa journée internationale du théâtre, une pensée marocaine douce-amère s’élève pour Mohamed El Kaghat, qui s’apprête à être hospitalisé en France grâce à la Haute sollicitude Royale. Dans l’esprit de l’intellectuel engagé, Mohamed El Kaghat dont la présentation n’est plus de mise, est l’artiste accompli. Ecrivain, dramaturge, cinéaste et enseignant chercheur à l’université Sidi Mohammed Ben Abdallah de Fès, ce passionné du théâtre est aussi un amoureux de sa ville natale, Fès, la cité du savoir et de la spiritualité. Amené à errer au loin, cet homme de 59 ans ne la quitte jamais, sauf par contingence, s’empressant d’y revenir tel l’amoureux candide. Homme au parcours riche et complexe, Mohamed El Kaghat est le séducteur discret. Artiste de la distinction innée, il est le charmeur prolixe des salons littéraires mondains et des forums académiques. Défrayant sans trop le vouloir l’attention des convives, par des anecdotes cocasses mais réelles, racontées pour écorcher et retenir son interlocuteur sur un ton d’humour mordant. Ainsi est l’artiste. Kaghat est le rire mitigé ou le narquois est dérision et dévoilement des travers des gens. Tels les grands hommes de la vraie vie, il reste humble, poursuivant depuis 1958 son petit bonhomme de chemin et refusant distinctions et glorioles. Préférant le comportement humain de l’art et de la culture à celui de la parade, Kaghat n’est pas un bureaucrate carriériste. Pourtant appelé il y a quelques années à diriger la direction des arts au ministère de la Culture, il se sent enfermé et mal à son aise sans aucun doute, il abandonne pour se replonger aussitôt dans la recherche littéraire arabe et retrouver ces espaces libres mais règles du théâtre qu’il aime tant. Bifurquant sur des chemins multiples, il arrive à se consacrer en parallèle aux reparties plurielles de la scène. Tantôt comédien dans nombre de représentations, on le voit jouer aux cotés de Touria Jabrane. Dans des séries télévisées, il est une des vedettes fétiches des réalisateurs Farida Bourquia, Farida Belyazid, Hamid Bennani et Abderahman Mouline. Ecrivain dans ses moments de contemplation solitaire, l’artiste collabore à travers ses adaptations et productions à faire du théâtre marocain une prestation de qualité et essaie de former depuis 1960, dans des stages à Maâmora une vague de générations d’acteurs-comédiens. Marquant de son empreinte la scène, cet homme affable au regard lumineux mais légèrement moqueur, ne se départit jamais du sourire, d’un mot aimable, parfois d’un éclat de rire complice. Kaghat à l’œil vif pourtant, est un rêveur des choses imaginaires que l’homme quotidien ne saurait appréhender. Kaghat, polyglotte et membre de l’Union des écrivains du Maroc, se réalise dans son œuvre littéraire et artistique. Une vingtaine de pièces en langue arabe font son succès, certaines ont des maximes en guise de titres, "Bghal Tahouna", "Bachar El Kheir", "Ma’iate El asr", "Foulane, foultane", "Dikraiate mina El moustakbal"... Certaines sont publiées des les années soixante dix pour figurer dans dès revues arabes spécialisées et ouvrages universitaires, d’autres ont été primées. L’artiste dans la dimension du beau et du laid ne laisse pas indiffèrent, il analyse sa société pour mieux en imprégner son cercle littéraire. Et, ce sont alors de véritables études, comme "le fondement de la production théâtrale des origines aux années quatre vingt" (1986/ Dar Takafa/Casablanca), "Le théâtre et son espace" (1996/ Dar Boukili/ Kénitra). Quand l’auteur-acteur trouve un temps de répit, il se met aux traductions, celles des œuvres de l’écrivain marocain Abdelkebir Khatibi: "Al nabi al moukanaâ" et des extraits du théâtre international (Koweït 1993). Reconnu de tous, il est souvent sollicité comme membre du jury dans les différents forums de théâtre (amateur, universitaire et tout récemment pour la première édition du festival national des professionnels du théâtre à Meknès). Dans son itinéraire, il n’y a presque rien à en dire, tellement l’homme de la réflexion a touché aux choses essentiellement artistiques, le cinéma par exemple. Il est aussi acteur dans plusieurs films marocains et étrangers: "Lune de miel au Maroc" (production franco-allemande/1962), "Soleil de printemps /1969 de Latif Lahlou), "Wechma" (1970) et "La prière de l’absent" dont il écrit les dialogues (1991/ Hamid Bennani, "La nuit du crime" (1992/ Nabyl Lahlou), "Lalla Hobi" (Abderrahman Tazi /1996), "Jesus" (Roger Young/ 1999), "Yacout" (Jamal Belmejdoub/1999), "Malena" Joseph Tornatori/2000). Mais l’homme de théâtre retourne toujours aux sources. Aimant être auprès de ses chers étudiants, il reste pour eux le généreux maître de conférence, le docteur d’Etat pour qui le théâtre et la littérature arabe n’ont plus de "difficulté". Kaghat dans son amphithéâtre se plaît à partager, mais surtout à diriger, corriger et conseiller ses étudiants thésards. Shehrazade Alaoui
|